Retour par les hautes latitudes
Hello ! Je laisse ici les impressions sur la transat. Merci beaucoup à Agnès pour tous ses clichés ! Ce sont les siens que je poste ici. Et plutôt sur la vie à bord (la pauvre n'était pas en forme dans la mer agitée...)
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Oups, de la casse ! |
avant le départ |
Jour 1 : latitude quand je prends mon quart (2h-4h) : 48°48N (Ste Gen, sud de Paris environ)
Bon vent dans le bon sens, lune pleine pour la nuit. Toutes les bonnes conditions sont réunies. Et il ne fait pas si froid en plus !
Rencontre avec Jean Pierre et sa femme : deux aventuriers, du genre à donner l'impression que notre vie est monotone à côté de la leur quand on écoute leur périple : en mer ou encore en traversée du désert, ils semblent avoir tout fait !
Jean Pierre nous explique ses débuts. Ingénieur de formation, et avant tout alpiniste confirmé, il souhaite grimper à des endroits peu accessibles, du genre du Groenland. C'est ainsi qu'il construit tout naturellement un bateau pour y aller ! Il nous raconte aussi tous les dangers de la navigation là-bas, et les raisons pour lesquelles on n'y passe pas "juste comme ça avant d'aller en Islande"
Je suis impressionné et je lui dis :
-Bluffant ton parcours, mais comment as tu appris tout ça sur la glace du Groenland ?
- La première fois j'y ai laissé mon bateau.
-Ah, okay !
Cette histoire sera sûrement pour une autre fois...
Jour 2 : même latitude que Dunkerque à mon quart (minuit-2h) : 51°N. 274 milles de St Jean, distance restante : 1152 milles.
Toujours de superbes conditions dûes à une dépression située étrangement très au nord. On ne s'en plaint pas et on avale les milles avant d'avoir un temps moins clément. On a malheureusement passé la région possible d'icebergs sans en voir.
À bord tout va bien, Youri et Agnès utilisent l'appareil photo pour des séquences à thème, Matthieu nous cuisine de bonnes choses, Jean Pierre toujours de bon conseil sur l'eau. Il peut : après sa première expérience de naufrage au Groenland, une fois revenu en France il se met à construire d'autres catamarans. Son entreprise devient la première du monde dans le domaine pendant un moment ! D'ailleurs il a participé à la conception d'Hakuna, c'est un peu son bébé sur lequel il navigue maintenant.
Jour 3 :
À ma prise de quart (5h) : 53°35N, 43°59W latitude équivalente : Dublin !
Il nous reste moins de mille milles avant l'Islande ! Et désormais la terre la plus proche est celle du Groenland : on approche, on approche...
À bord, tout va toujours bien. Enfin pauvre Agnès qui n'a d'habitude pas le mal de mer, cette fois ci elle n'arrive pas à s'en remettre... Jean-Pierre lui nous raconte des histoires d'ouragan qu'il a vécues comme bon vieux loup de mer : brrrr...
Aujourd'hui c'est l'anniversaire du capitaine ! Je vais essayer de voir pour préparer un gâteau...
Jour 4 :
À ma prise de quart : 55°58N, 39°W : je n'ai jamais été aussi haut ! Distance restante : environ 740 milles.
Le vent a forci hier, passant à 25, puis s'établissant à 30 noeuds. Un peu de casse : genaker déchiré, et la chaîne de la barre bâbord s'est ouverte. Rien de grave quand même.
Les vagues ressemblent à des montagnes et vont jusqu'à arroser le toit (pourtant assez haut sur l'eau) d'Hakuna. Jean Pierre nous dit qu'elles font quatre mètres. J'aurais dit le double, c'est la différence entre un marin chevronné et un débutant ! En tout cas pour travailler avec Youri, ce sont les montagnes russes dans le bureau : une fois par minute environ une vague un peu plus grosse emporte le bateau et le coeur remonte toucher la clavicule. Dis autrement ça fait à peu près : " wooooaaaaaarghhhhhh-pouf !"
Pour la traversée on a échangé de cabine : Youri dort avec Matthieu, Agnès et Jean Pierre prennent ma chambre et je suis dans la cabine de Youri, en bas. Dans la soirée je vais m'y blottir les écouteurs enfoncés dans les oreilles avec des chants lyriques italiens : ça met dans l'ambiance.
À terre j'aime bien être dans un coin douillet quand les éléments se déchaînent. Être à l'étroit d'une cabine mouvements machine à laver quand il y a beaucoup de mer dehors est sympa aussi !
Jour 5 : prise de quart à 4h (toujours l'heure de Terre Neuve au passage). 58°N, 36°30W distance restante de 561 milles. Désormais bien au nord et mi juin, le soleil se couche vers 22:30 se lève vers 3h et entre les deux une bonne clarté reste : on se battrait presque pour faire le seul véritable quart de nuit !
La moitié est bien passée maintenant ! Petit récit des dernières 24 heures : la mer était encore grosse hier. Une vague a arraché les déflecteurs tribord, et de l'eau de mer est rentrée dans les réservoirs : aïe ! Heureusement il nous reste de l'eau, on est parcimonieux. Une autre vague a brisé la fenêtre de la cabine de Matthieu. Pour donner une idée de la force, c'est une vitre blindée 8 mm comme on en trouve pour protéger les vitrines de luxe ou les œuvres d'art : c'est la première fois que Jean Pierre voyait ça ! Bricolage de fortune avec une planche à pain et une couche de sica.
Ce matin, tout est bien plus calme, on récupère bien. Heureusement que la mer fait des pauses parfois !
Jour 6 : prise de quart à 2 h30 (nouvelle heure). Position : 59°53N, 33°08W. Distance restante : 408 milles, ça sent l'arrivée !
Journée calme. Hakuna file toujours. Jean Pierre nous annonce avec joie que le cap Farwell (cap Horn du Nord, parfois plus difficile) est passé !
Je propose de mettre enfin un terme au décalage horaire de Terre Neuve : on passe direct du petit déj au goûter, et de l'heure de Terre Neuve à celle de l'Islande. Le soir Youri nous régale avec un caviar d'aubergine et des filets de morue préparés de A à Z. Soleil couché vers minuit, levé vers 4heures avec un crépuscule continu entre deux.
Jour 7 : position nord, peu plus proche de l'arrivée qu'hier, un peu moins que demain.
Hier 17 juin, fête nationale de l'Islande ! Ce qui ne changeait absolument rien à bord. Je peux vous parler du temps, mais c'est toujours un peu pareil, du vent des vagues et des oiseaux. Sinon rien de particulier.
Le matin je bouche les toilettes pour la deuxième fois du parcours et malgré les précautions (la dernière fois je m'étais promis de faire attention pour ne pas recommencer). Ça nous est arrivé à tous au moins une fois, et la phrase "punaise j'ai bouché les chiottes" est très amusante à entendre, beaucoup moins à prononcer...
Pour oublier tout ça, on trinque dans la soirée à la mode de Terre Neuve : quand on sort une bouteille, on doit la finir ! Youri et Agnès encore un peu sujette au mal de mer ne nous accompagnent pas pour le rhum. On les laisse prendre les premiers quarts, c'est plus sage...
Jour 8 :
Assez calme, on a enfin l'histoire du naufrage au Groenland, où le bateau de Jean Pierre s'est fait broyé par la glace... On arrive en Islande : je prends mon quart assez proche pour avoir du réseau.
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Réparation de pro ! |
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L'anniversaire |
Très beau journal de bord. Tu nous fais beaucoup rêver.
RépondreSupprimerTraversée dont tu te souviendras et nous aussi.
Après la pêche à la morue à Terre-neuve ce sera la même chose en Islande.
Pierre Loti serait heureux surtout vu de Bretagne là où nous sommes en pays bigouden.
Bonne découverte de cette île tellurique et de ses geysers.
Gros bisous de nous deux en attendant les photos.
C’étaient Claire et Papou
SupprimerToujours aussi impatient de lire ta belle prose, je constate que les conditions de navigation sont un peu plus rudes pour vous et l'on devine que vous vous rapprochez chaque jour du terme de cette superbe traversée, ce qui n'est pas pour me plaire car j'adore découvrir ces étapes que tu nous fais vivre par procuration, documentées avec humour et passion... Régale nous encore de la suite!
SupprimerGrosses bises pour toi mon Rapha et mes amitiés au bel équipage.
P. Coyo
Merci pour vos commentaires, je m'amuse bien en effet !
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